Nicolas Sarkozy, le hussard de l’Europe

Par Alain Duhamel

 

Voilà le volontarisme politique de Nicolas Sarkozy soumis à des épreuves d’un type nouveau et d’une ampleur sans précédent : depuis qu’il a pris le, 1er juillet, ses fonctions de président en exercice du Conseil européen, le chef de l’Etat doit faire face à des crises de plus en plus graves.

Cela a commencé par le conflit entre la Russie et la Géorgie qui l’a conduit aussitôt par tempérament, par méthode, par vocation et par sentiment d’urgence à se précipiter à Moscou et à Tbilissi, à s’entremettre et à négocier un cessez-le-feu - aussi insatisfaisant qu’indispensable - pour sauver le régime géorgien. Pour y parvenir, il a dû bousculer toutes les lentes et majestueuses procédures européennes, consulter en urgence les principaux pays, faire avertir les autres, emmener dans ses bagages les responsables de Bruxelles, décider seul et multiplier les initiatives.

Une crise chasse l’autre et l’attention s’est détournée du Caucase. Il s’agissait pourtant de la première offensive russe hors de ses frontières depuis la chute du mur de Berlin, donc d’un risque aigu de guerre éclair et de création d’un protectorat russe aux confins de l’Europe. Les méthodes cavalières s’imposaient et cela tombait bien que le président en exercice du Conseil européen soit un bonapartiste. Qu’aurait pu dans les mêmes circonstances son prédécesseur, le Premier ministre slovène ?

Ce qui valait pour l’orage géorgien s’applique à la puissance dix pour l’ouragan financier. La crise rôdait depuis le mois d’août 2007, elle menaçait, elle s’approchait. Elle a brusquement éclaté aux Etats-Unis où elle a dévasté les banques d’investissement, ravagé les sociétés d’assurance, pulvérisé le secteur immobilier. Cette crise a maintenant gagné l’Europe, victime collatérale des dérèglements américains dont nombre de banques et de sociétés d’assurance du Vieux Continent s’étaient cependant faites de bon cœur les complices. Faute d’institutions dignes de ce nom, faute de politiques communes, même au sein de la zone euro, la réaction instinctive de la plupart des Vingt-sept a consisté à chercher des solutions nationales. La Grande-Bretagne qui s’opposait avec arrogance à toute mesure de régulation a dû recourir à des nationalisations et subir les effets du cavalier seul irlandais. Elle a tout fait pour empêcher la constitution d’un fond de sauvegarde européen, avant d’effectuer un spectaculaire tête-à-queue. L’Allemagne a malheureusement été son alliée pour des raisons prosaïquement électorales. Les plus vulnérables - l’Italie, le Benelux - ont tenté de trouver des parades solitaires, naturellement en vain. La banque centrale, bouc émissaire rituel, remplissait certes son rôle avec sang-froid mais la commission manquait singulièrement d’autorité, d’initiative et de promptitude. L’Europe a donc fait face à la crise dans le plus grand désordre.

Nicolas Sarkozy s’est alors comporté en Europe comme il le fait en France : en hussard. Il a pris les choses en main sans craindre un instant d’ignorer les formes et de déchirer les rituels. Il a lancé au triple galop - seule allure compatible avec les circonstances comme avec son tempérament - une offensive frontale pour tenter de contraindre l’Europe à une stratégie collective. Il a trouvé des alliés à Bruxelles, à Francfort, dans les pays latins, chez beaucoup de petits Etats. Il a connu des échecs et des déceptions, notamment du côté allemand qu’il apprécie peu et comprend mal (la réciproque étant tout aussi vraie). Il a arraché, au sommet des membres européens du G8, des engagements symboliques, des objectifs virtuels et des coordinations partielles. Il ne s’est pas laissé endormir. Il bataille durement pour entraîner les Vingt-sept - et a fortiori l’Euroland - sur la voie des initiatives collectives. Il sait que le moment de vérité sonnera la semaine prochaine avec le Conseil européen. Chacun pourra alors constater à ce moment si la rhétorique déployée débouche ou non sur des décisions significatives. Il pousse secrètement à l’adoption d’un plan de sauvegarde et ouvertement à une batterie de réformes techniques du marché financier, puis d’un New Deal pour réguler et moraliser le capitalisme, espérant une victoire de Barack Obama qui se précipiterait dans la même direction.

Il n’est pas sûr de réussir, tant s’en faut. Des obstacles - égoïsmes nationaux, préjugés idéologiques, concurrences des Etats ou de leurs leaders, anxiété, affolement - peuvent se mettre en travers. Il essaiera en tout cas jusqu’au bout, sans frein et sans relâche, sans respirer et sans ménager quiconque, de jour comme de nuit, a dix, à vingt ou à trente (avec Jean-Claude Juncker, José Manuel Barroso et Jean-Claude Trichet). Il tente de forcer le destin et d’extirper une réplique européenne du Vieux Continent. Brutalement, opiniâtrement, farouchement : à la hussarde.